Lancée en 2022, la révision du Plan de sauvegarde et de mise en valeur du Vieux-Lyon porte comme ambition l’intégration des enjeux de la transition écologique. Cette volonté se heurte aux nombreuses polémiques confrontant la protection du patrimoine et les actions en faveur de la transition écologique1 , notamment la végétalisation de l’espace public2 . Elles ont progressivement conduit à forger un antagonisme dont il convient d’interroger les fondements.
Patrimoine vs écologie, la construction d’un antagonisme
Les raisons de la controverse médiatique
Dans le débat public, les discours abordant le patrimoine et l’écologie n’appréhendent le sujet que sous l’angle conflictuel, laissant ainsi peu de place à un positionnement tierce. La radicalité de cette opposition s’explique notamment par l’investissement différencié de ces notions par des groupes sociaux traditionnellement opposés dans le champ politique français.
Le patrimoine a traditionnellement été investi par la bourgeoisie conservatrice pour qui il constitue un important capital symbolique3 , tandis que les questions écologiques, qui émergent d’une critique des modes de production industrielle et capitaliste, ont été historiquement portées par les milieux contestataires, rattachés à une tradition politique de gauche4 . Parmi elle, c’est la conception libérale qui domine dans les politiques mises en place aujourd’hui : celle qui déploie un discours d’adaptation des territoires et de mutation des modes de production, plus qu’une remise en question du modèle de société. Les polémiques récurrentes sur l’implantation d’éoliennes incarnent parfaitement à cet égard, cette controverse où les conservateurs dénoncent la défiguration des paysages5 quand les progressistes revendiquent la matérialisation de la production énergétique dans l’espace6 . Le cadre du débat s’en voit ainsi figé et les notions de patrimoine et d’écologie, essentialisées.
Législation patrimoniale et protection de l’environnement
L’antagonisme est aujourd’hui renforcé par les récentes lois environnementales. Cette opposition peut être considérée comme nouvelle car les premières lois patrimoniales ont, dans une certaine mesure, contribué à protéger l’environnement. Celles sur la protection des sites naturels en 1906 et des abords des monuments historiques à partir des années 1930, partagent la même philosophie que les lois visant la protection de la nature : la création de périmètres de protection au sein desquels les interventions humaines sont soumises à un contrôle préalable.
La confrontation de la législation patrimoniale et de la législation environnementale s’explique aujourd’hui par le fait que, pour faire face aux effets du dérèglement climatique, il ne suffit plus de sanctuariser des espaces, mais de transformer les modes de vie et de production. Cet objectif, qu’on a qualifié de développement durable et aujourd’hui de transition écologique, semble avoir pris pas sur les enjeux patrimoniaux. La création des AVAP a imposé la réalisation d’un diagnostic environnemental, notamment dans l’objectif de relever les espaces où il serait possible d’implanter des dispositifs d’énergies renouvelables7 . Ceci n’interroge finalement que très peu la pertinence-même de ces équipements en milieu patrimonial. Elle a contribué à forger l’évidence selon laquelle le patrimoine devait s’adapter à la nouvelle donne climatique plus qu’à produire ses propres solutions.
Un ADN commun
Appréhender conjointement le patrimoine et l’écologie demande en effet de reconnaître leurs points communs. Premièrement, que le patrimoine est en symbiose avec son site naturel et qu’il est par nature durable à condition qu’il soit entretenu avec les techniques et matériaux adéquats.
Une articulation pertinente de ces deux champs serait également de reconnaître que leur vulnérabilité est imputable aux logiques de rentabilité économique, qui fait de l’environnement une ressource surexploitée et du patrimoine, un simple décor dont l’entretien peut s’affranchir de considérations architecturales et historiques. Dans tous les cas, leur protection appelle à adopter une éthique commune, celle du care ou du « porter soin ». Acteurs de la protection du patrimoine et de l’environnement remettent au centre des enjeux de l’aménagement du territoire des valeurs qui prennent le contre-pied de ces logiques : la durabilité, le temps long, etc.
De l’invisibilité de la transition écologique en milieu patrimonial
Si patrimoine et écologie ne s’excluent pas mutuellement, la transition écologique demeure complexe à mettre en œuvre dans les quartiers anciens. Ceux-ci demandent en effet d’adopter une approche écologique différente de celle couramment appliquée dans les autres espaces de la ville.
Les solutions écologiques à l’épreuve du patrimoine
À l’heure du dérèglement climatique, le Vieux-Lyon semble incarner nombre de tares urbaines : la minéralité, alors qu’il nous faudrait lutter contre les îlots de chaleur urbains par la végétalisation, la déperdition énergétique au moment où l’isolation thermique par l’extérieur se démocratise, le manque de place pour l’installation d’équipements liés aux nouveaux modes de vie (compostage, mobilités douces, etc)…
Pourtant, il regorge de potentialités qui sont faiblement valorisées d’un point de vue écologique : sa proximité forte avec la balme, un des plus grands parcs urbains de la ville, ses traboules qui constituent d’importants réseaux de fraîcheur l’été ou encore la qualité constructive de ses immeubles qui sont plus agréables à vivre que nombre d’immeubles récents faits en béton…
Dans ces cas-là, pourquoi les difficultés demeurent-elles ?
La transition écologique n’existe pas
Le recours aux nouveaux équipements énergétiques et aux aménagements écologiques fait partie de ces évidences qui concourent à figer l’idée que l’on se fait de la transition écologique. Pourtant, les solutions sont liées à un modèle urbain particulier qui s’est institutionnalisé au cours des années 2000 : l’écoquartier. Les exemples montrés ci-dessus révèlent à quel point l’imaginaire collectif en matière de transition écologique est imprégné de ce type d’urbanisme. Or celui-ci est essentiellement différent de celui des quartiers anciens, notamment du Vieux-Lyon : créé ex-nihilo, souvent sur d’anciennes friches industrielles, sa réalisation est libérée de nombres de contraintes. C’est pourquoi l’application de ce référentiel moderne sur des espaces déjà urbanisés apparaît artificielle et peine à produire des effets convaincants.
L’hégémonie de la transition écologique incarnée par les écoquartiers est d’autant plus problématique dans le cas du bâti ancien que c’est sur ses référentiels que s’appuie la réglementation énergétique récente. Elle tend à « architecturaliser »8 , c’est-à-dire à rendre le bâti responsable du problème énergétique, et à ne pas chercher d’autres causes ni d’autres solutions.
L’écologie sans le verdissement
Le quartier ancien apparaît moins réfractaire à la transition écologique qu’à sa traduction techno-solutionniste et à sa mise en visibilité dans l’espace public. Il remet en question l’idée selon laquelle l’écologisation de la ville passe nécessairement par le verdissement. Entendu comme un ensemble d’actions convoquant l’imaginaire de la nature et du végétal, le verdissement inclut par extension la notion de décarbonation (de la production d’énergie, de la mobilité, du bâti, etc). La problématique de la transition écologique en milieu patrimonial part ainsi d’un enjeu esthétique pour atteindre les questions de matières et d’habiter : in fine, d’architecture.
Ainsi, il apparaît plus judicieux de restaurer les qualités écologiques du bâti ancien que de le transformer : permettre la “respiration” des murs avec un enduit adapté ou encore tirer parti des propriétés géothermiques de la balme sur lesquels sont adossés les immeubles. Dans un second temps, agir sur les façons d’habiter ces espaces en portant une réflexion sur nos modes de vie actuels. S’il ne s’agit pas de renier notre modernité, au moins nous faut-il porter un regard réflexif sur elle et voir en quoi elle invite souvent à nous désinvestir de nos lieux de vie. Enfin, réfléchir sur les usages collectifs qui ont court dans ce type de quartier : par exemple, dans quelle mesure le modèle d’attractivité économique nuit-il aux qualités écologiques de la ville ancienne ?
Parce qu’elles prennent en compte le contexte urbain ou architectural, toutes ces pistes d’action ont pour point commun une neutralité esthétique, à la fois respectueuse du contexte patrimonial et efficace en matière écologique.
Il apparaît ainsi que l’avènement de la transition écologique en milieu patrimonial doit passer non seulement par sa dés-essentialisation —il peut y en avoir plusieurs— mais également par la démultiplication des imaginaires écologiques pour ne pas la réduire à une simple mutation chromatique de l’espace urbain.
- Les récents débats de la Commission parlementaire autour du projet de loi sur l’accélération de la production des énergies renouvelables en France peuvent en témoigner. ↩
- Anne Loustalet, Verdir le Vieux-Lyon. Repenser la transition écologique en milieu patrimonial, mémoire de master, 2022. ↩
- Maïa Drouard, Le patrimoine pour tous. La contribution des aristocrates d’extrême-droite au maintien de l’idéologie des “belles demeures”, Agone, n°54, 2014 ↩
- Charles Berthier, L’évolution de l’imaginaire de l’écologie politique au début du XXIe siècle : la restructuration de l’écologie radicale française autour du mouvement pour la décroissance, thèse de doctorat, 2014 ↩
- Nicolas Chaudun, Au nom de l’écologie on impose la laideur, Le Figaro, 12 décembre 2021 ↩
- Voir la tribune de Jérôme Batout et Michel Guibauld, Rendre à l’énergie sa matérialité dans le paysage est un enjeu fondamental de la transition écologique dans Le Monde du 29 août 2021 ↩
- Pascal Planchet, Le patrimoine et le paysage face au défi environnemental, Actualité juridique du droit administratif, n°30, 2010. ↩
- Julie Neuwels, L’évidence du bâtiment énergétiquement performant : Genèse d’une construction politique ambiguë, chapitre issu de l’ouvrage Repenser la transition énergétique : un défi pour les sciences humaines et sociales de Vincent Baggioni, Céline Burger et Joseph Cacciari et Marie Mangold (dir.) ↩